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Un peu d'acide

 

A lire avec des gants.

 

A tous les grands enfants qui ont joué l’école buissonnière. A tous les amoureux des grands espaces, de la ruralité, de la pastoralité, qui sont partis se mettre « au vert » le temps d’un week-end. A tous ceux qui se ressourcent après une dure semaine de confinement, j’espère que vous avez choisi un endroit qui vous plaît.

 

Un endroit qui vous plaît, et avec des autochtones bien sympas aussi.

Sylvie la boulangère, mais si tu sais, celle qui fait de si savoureux pains au chocolat, avec son mari ils sont adorables.

Edouard, le cantonnier, qui a toujours un mot gentil pour vous quand vous venez vous ressourcer dans ce havre de paix et de félicité.

Alain, le maire. Vous pensez s’il vous apprécie, vous êtes la troisième génération de Jean-Trouduc qu’il accueille dans son village.

Myriam, la meuf du Vival, celle qui abuse un peu mais qui dépanne bien pour les clefs du airbnb et les bons conseils de rando.

 

J’espère que vous les aimez tous ces gens. Parce qu’après les avoir contaminés, c’est surement à côté d’eux que vous passerez les trois prochaines semaines, sous ventilation mécanique, allongé sur le ventre, les fesses délicatement couvertes d’un drap étroit. Ca vous changera de la tenue de vélo.

 

J’espère aussi qu’ils auront assez de place dans le petit service de réanimation du petit hôpital à coté de votre petit lieu de villégiature bien mignon. Rien n’est moins sûr, car il n’a pas été dimensionné pour ça, contrairement au gros hôpital de votre grosse ville, celle dans laquelle se trouve votre plus ou moins petit appartement.

 

J’espère enfin que la vue depuis la rue du cimetière est à votre goût. Car peut être que c’est là-bas que vous l’aurez mauvais (le goût), de mettre prématurément un terme au contrat qui vous lie à votre existence. Là-bas, loin de chez vous, dans une coquette chambre de réanimation, où vos proches ne seront pas invités, par mesure de confinement et de sécurité.
Et alors vous aurez plus de temps qu’il n’en faut pour admirer l’horizon azur, les falaises gypseuses, l’esthétique antécime ou la plaine fertile ponctuée d’îlots (r)urbanisés.

 

Rassurez-vous, ce n’est pas là mon souhait pour vous. Je joue plutôt dans le camp de la vie habituellement. Vous aurez sûrement la chance de ne faire qu’y passer, avant de regagner votre lieu de confinement des jours ouvrables. Vous reviendrez de cette parenthèse rassérénés et prêts à affronter l’épreuve du confinement aménagé, celui où vous n’avez le droit de sortir que deux fois par jour, toujours pour des raisons essentielles.


Vos hôtes, vos compagnons de route, les inconnus que vous aurez croisés, parfois par l’intermédiaire d’une poignée de porte insuffisamment désinfectée, garderont eux un souvenir contagieux de votre passage. Les moins chanceux d’entre eux viendront bientôt tenir compagnie à leurs ancêtres tombés pour la France, victimes peu héroïques de l’inconséquence des moins disciplinés.

 

Vous aurez peut-être envie de revenir leur rendre visite. Et en passant, de vous recueillir sur la tombe de votre humanité.

 

Moralité : restez CHEZ VOUS. Le VRAI chez-vous, celui de la taxe d’habitation, celui sans balcon, celui avec les gosses sur le dos et pas dehors, celui avec le vis-à-vis, celui avec le bruit des voitures, celui duquel on ne peut partir à l’aventure beaucoup plus loin qu’au rayon PQ et berlingots de javel (retour des courses : y’en a qui font des cocktails avec ou quoi ?).

 

C’est ce qu’on fait nous. Pour vous sauver vous. Et tous les autres. Parce que si ce n’était que pour vous sauver vous, je ne sais pas si on serait aussi déterminés.

 

 

Crédit photo : Jérémie Rumpler (Nouvel Hôpital Civil, Strasbourg)

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