· 

Une Ile dans le ciel (1/4)

 

 

Prélude - Automne 2016

Quelques minutes après 7h. Le soleil achève de franchir l’horizon et vient récompenser de ses rayons les marcheurs transis parvenus au Thorong La, point culminant du classique tour des Anapurnas.

Certains rient, d’autres pleurent, tous semblent exaltés par ce moment. Je ne fais pas exception à la règle. L’air gelé semble nous porter, le vent puissant nous pousser à poursuivre notre périple, pour la plupart gonflés de la fierté d’avoir vaincu notre premier défi en haute montagne.
Une seule pensée alors que nous entamons la descente vers la vallée du Mustang : il faudra revenir.
Aller voir ce qui se passe au dessus. Juste un peu au dessus...

 

 

Katmandou - Avril 2018.

Premier au quatrième jour.

La touffeur de la capitale népalaise nous saisit à peine descendus de l’avion. Rien n’a changé, ou presque.

D’innombrables voitures plus ou moins intactes embouteillent les artères poussiéreuses de la métropole. Le ballet enivrant des deux-roues contraste singulièrement avec le flegme des quelques bovins avec qui ils partagent la chaussée. D’agiles ombres simiesques semblent naviguer avec aisance le long du dédale de lignes électriques.

Nous n’aurons que peu de temps pour faire découvrir les curiosités cachées de Katmandou à ceux qui la découvrent pour la première fois. Comme un avant-goût des réveils nocturnes bien connus des alpinistes, c’est tard dans la nuit que nous quitterons le confort de notre hôtel pour partir à l’assaut du terminal domestique de l’aéroport.

La voie des airs est la plus rapide, sinon la plus sûre pour rejoindre Lukla, porte d’entrée de la région du Khumbu. L’unique piste est tristement célèbre du fait des fréquents accidents, les pilotes habilités à y atterrir, d’une classe à part, la fenêtre météo, étroite. Nous ne sommes autorisés à emporter que 15kg de bagages par personne, matériel d’alpinisme compris... Pour relever ce défi, c’est donc les sacs légers mais chaudement vêtus et les poches pleines de nos biens les plus lourds que nous embarquons. L’excitation dans l’habitacle est palpable. Nos traits tirés reflètent l’appréhension, la fatigue ou l’euphorie : nous partons pour le toit du Monde!

Après un vol sans encombre et un atterrissage...musclé, nous y sommes. Quelques degrés de moins pour un supplément de vie : voilà ce qui nous attend ici.

La première partie de notre périple à pieds nous mènera de Lukla à Namche Bazaar, dernier gros village relié au monde moderne, et d’où partent les chemins qui sillonnent le parc national de Sagarmatha. Namche Bazaar s’est bâtie autour des légendes de l’himalayisme depuis le milieu du vingtième siècle. Ici, la mémoire de Tenzing Norway Sherpa et de Lord Edmund Hillary, premiers vainqueurs du ressaut éponyme, est encore bien vive. Leur ombre est sur chaque bâtiment et nous foulons avec respect la même terre ocre et poussiéreuse que leurs lourds godillots il y a plus de 60 ans. Quel honneur!
Cette étape est notre première occasion de profiter du confort unique des lodges du Khumbu et de parfaire nos stocks de matériel et de denrées diverses.

Demain, nous commencerons notre périple au dessus de « 4000 ». La suite du séjour se déroulera un peu plus près des étoiles, nous menant au travers de 3 cols culminant tous à plus de 5300m. Egrenés au fil des chemins séculaires des vallées du Haut Khumbu, nous irons de lodge en village, de monastère en bergerie, de ponts suspendus en sentes accrochées aux abruptes parois des monuments de granit et de glace qui gardent ces vallées reculées, aux confins du Népal et du tout proche Tibet.

 

 

Cinquième au neuvième jour.

Nous nous élevons au rythme lent qu’impose la haute altitude. La végétation nous abandonne quelques heures après notre départ de Namche, cédant la place aux herbes rases et aux rivières minérales dévalant les abruptes pentes que nous gravirons bientôt.

Thame, Lunden, Khusum, autant de hameaux traversés que de rituels reproduits : sur la droite laisser les moulins de prières, d’un « Namaste » enjoué saluer les visages souriants croisés et avec délice se délecter d’un masala tea brûlant (/ thé épicé et lacté/) une fois arrivés à l’étape.

Les étapes justement. Equilibrées et propices à l’acclimatation, nous les bouclons souvent en une grosse matinée. Partir tôt, manger tôt et arriver tôt au refuge permet de se livrer à des plaisirs oubliés de nos sociétés pressées, stressées, terrassées par le souci permanent d’être occupés, utiles, rentables, efficaces.
Nous redécouvrons l’art difficile de ne rien faire, la joie de céder à l’appel de la sieste, le bonheur d’attendre patiemment l’heure du thé face aux montagnes embrumées par les nuages venus de la vallée. L’attente fait partie de la vie en altitude, elle nous permet de nous remettre à l’écoute de ce(ux) qui nous entoure, des autres, du rythme de la météo et des montagnes.
Les longues parties de tarot occupent aussi activement une bonne partie des membres du groupe. Agrémentées de thé brûlant ou de momos (/sorte de raviole cuite à la vapeur/) selon l’appétit des joueurs, le jeu permet d’entretenir les rouages de notre esprit hypoxique! Ces après-midi sont aussi l’occasion de se livrer à quelques activités aussi prosaïques qu’indispensables au voyageur à pieds, pour peu qu’il quitte le confort de son « chez-lui » plus de quelques jours. Panser les plaies du corps et des vêtements, rafraîchir chaussettes et caleçons ou encore vivre par anticipation les difficultés des jours à venir... « Mais que dit le topo? »

La première difficulté que nous rencontrons est le Renjo La. 1000m de dénivelé positif nous attendent pour atteindre ce premier obstacle naturel, qui nous sépare de la vallée de Gokyo.
Le départ se fait au petit jour, guidés par une lune bienveillante. Le moral est bon, les organismes encore peu affectés par le séjour en altitude et en pleine acclimatation. Pour certains, ce sera une première incursion au delà des « 5000 », et pour tous un préambule aux prochains défis. Le groupe avance lentement, mais sereinement, s’élevant dans les pierriers exigeants jusqu’à atteindre un cirque où la muraille enneigée se dévoile enfin. L’air est glacial, et met nos capacités d’adaptation thermique à rude épreuve!

L’ascension se poursuit sur un chemin muletier étroit et lourdement enneigé, et nous perdons notre course désespérée contre les nuages qui couvaient dans la vallée. Il nous faudra atteindre le col drapés dans une épaisse brume. Le groupe s’étire, et l’enthousiasme s’étiole à mesure que le souffle se fait plus court, le pas plus mesuré, l’effort plus coûteux. Nous atteignons le sommet à deux, peloton de tête d’un genre nouveau, sans pédale ni voiture balai, la barbe givrée et les guêtres enneigées. Nous sommes récompensés de notre effort par de furtives vues sur l’Everest et les glaciers suspendus environnants, les premiers depuis Namche.

Bientôt, le reste du groupe nous rejoint. Le lieu est particulier, et l’euphorie palpable. Nous assisterons même à une demande en mariage entre deux randonneurs d’un groupe ami. Belle preuve d’amour, quand chaque gramme compte, que de hisser quelques carats jusqu’ici cette aire hostile.
L’épreuve, si elle a été soutenue, est loin d’être terminée, car il nous faut désormais gagner Gokyo, une quinzaine de kilomètres, 600m et quelques pentes enneigés plus bas.

Comme à notre habitude désormais, la journée se finira au chaud, autour d’un thé, les yeux tournés vers les sommets puis emmitouflés dans nos sacs garnis de duvet...

Dans chacun de nos esprits, de cette immense hauteur ennivrés, la même idée : bientôt nous irons "au dessus", juste un peu au dessus...

 

 

A suivre...

Écrire commentaire

Commentaires: 0