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Une Ile dans le ciel (2/4)

 

 

« Bivouac des Plines, glacier du Trient, un peu avant le lever du soleil.
Après une nuit très…conviviale dans cet abri perché au dessus de ce champ de glace suisse, notre colonne de skieurs-alpinistes engourdis se met doucement en marche. Trois cols nous attendent aujourd’hui, qui nous offriront une longue et régulière plongée avec vue sur la face Nord du Dolent. »

Ca, c’est qui aurait du se passer ce matin. Si ça n’avait « merdé » entre deux. La journée ayant été plus…urbaine que prévu, voici tout de même de quoi s’échapper un peu en altitude…

 

 

Dixième jour
Un nouveau jour se lève sur le lac gelé de Gokyo tandis que les plus téméraires du groupe se lancent à l’assaut du Gokyo Ri. Histoire de ne pas se priver d’une nouvelle ascension au dessus de 5300m et de poursuivre notre acclimatation. L’itinéraire est direct, la trace évidente et le sentier bien avare de lacets.

Le chemin se transforme bientôt en sente étroite et c’est en crapahutant de rocher en bloc enneigé que nous atteignons notre objectif. Cette sortie au rythme soutenu nous offre finalement un panorama d’exception, ce d’autant que la brume de la veille semble nous avoir délaissés pour le moment...

Everest, Cho Oyu, Lhotse ou Makalu, pas moins de quatre « 8000 » s’offrent à nous tandis que les premiers rayons du soleil couvrent d’or les pentes étincelantes de ces mastodontes. Sous nos pieds, une longue langue glaciaire s’étire paresseusement, surplombée de deux moraines aux dimensions titanesques. Nous distinguons sans peine les maisons colorées qui composent le village de Gokyo. Le retour se fait en dévalant des pentes herbeuses, pleins d’une énergie retrouvée et avides de poursuivre l’aventure vers notre prochaine destination.

L’étape du jour est courte, il s’agit de permettre aux organismes de se reposer. Déjà cinq jours au dessus de 4000m, et les premiers signes d’alerte apparaissent. Nous nous habituons progressivement au manque d’oxygène et avons adopté sans peine la routine des marcheurs du Khumbu, mais cette acclimatation a un prix. Evoluer à ces altitudes pendant plusieurs jours rend les petits maux du quotidien plus délicats à appréhender. Nous demandons beaucoup à nos corps et leur offrons peu. Dérangements intestinaux et toux rebelle font leur apparition chez plusieurs membres du groupe. Nous prenons soin les uns des autres, apportant du réconfort et quelques conseils pour tâcher de faire passer au plus vite ces tracasseries. Malgré ces attentions et l’important stock de matériel médical emporté, ce séjour laissera des marques chez chacun d’entre nous. L’amaigrissement est sensible et inéluctable et les blessures longues à cicatriser, malgré l’abondance de nourriture. L’état de l’une d’entre nous pourrait bientôt devenir préoccupant. L’histoire montrera que ces inquiétudes étaient fondées, l’aventure se terminera précocement par une redescente forcée à des altitudes plus « sûres », sa santé étant devenue bien trop critique pour continuer l’aventure en toute sécurité... Nous ne sommes pas les seuls à souffrir de l’altitude, et nous croiserons à plusieurs reprises des candidats au rêve des cimes atteints de violents maux de tête, le souffle court et couchés en chiens de fusil, attendant d’être redescendus par la voie des airs...

 

Comme souvent, la journée se terminera sur une expérience aussi réconfortante que thermiquement intéressante.
- Dis Jamie, pourquoi le siphon du bac de douche il est tout plein de glace ?
- Alors déjà on s’estime heureux qu’il y ait un « bac de douche », c’est quelque chose d’assez exceptionnel en soi sous ces latitudes. Ensuite, il faut que tu utilises ta montre qui fait aussi thermomètre. Elle te renseignera sur le fait que, oui, il est assez logique que l’eau soit gelée, et que dans le bidon du shampooing et de la petite toilette il y ait des morceaux (comprendre « des glaçons »). C’est assez logique car elle est à 2°. Ce qui est bien pour allonger le whisky, et tout juste suffisant pour se laver les cheveux.
- Merci Jamie !

 

 

Onzième jour

Aujourd’hui encore, notre objectif se situe à plus de 5400m. Le Cho La est le deuxième col au menu du séjour. Coutumiers des réveils aux aurores, nous repartons avant le lever du soleil, en débutant l’étape par une vallée glaciale et venteuse. Là encore, l’architecte ne semble pas s’être embarrassé d’inutiles lacets, préférant une trace épurée « droit dans la pente ». Depuis un très esthétique replat, nous assistons au lever du soleil et cherchons du regard une zone de faiblesse dans l’assemblage de glace et de rochers qui nous fait face. La verticalité de l’obstacle est étourdissante. La seule façon d’être fixés est d’aller au pied du mur. Car c’est encore là qu’on le voit le mieux, le mur. Deux cents mètres de trace gelée et patinée nous attendent. Le concepteur des lieux y a été un peu plus généreux en lacets, nous réservant tout de même quelques surprises plus...verticales!

 

Les porteurs lourdement chargés ou les touristes les moins bien chaussés semblent en difficulté, vacillent, dérapent. L’exercice du jour est technique et éreintant et l’ambiance de cette face ouest glaciale et hostile. Chaque pas nous rapproche un peu plus du sommet, que nous atteignons dans la matinée avec bonheur. Le sourire et la satisfaction sont sur tous les visages et nous savourons l’instant face aux orgues des glaciers qui habillent les sommets environnants. La descente sera aussi exigeante que la montée, la fatigue en plus. Les chutes de neige des jours précédents ont recouvert la trace et le redoux n’est pas encore venu à bout des plaques de glace qui ralentissent notre progression. Nous arrivons exténués et affamés au terme de cette étape, récompensés par une vue imprenable sur l’Ama Dablam et une orgie de momos!

 

 

Douzième jour et treizième jour.

Aujourd’hui, c’est Noël avant l’heure. Ou presque. Il a neigé toute la nuit et quinze
centimètres de flocons recouvrent le camp et les crêtes qui le surplombent. Nos pas font crisser les cristaux agglomérés, et aucun autre bruit ne semble avoir l’audace de troubler l’harmonie qui a investi les lieux.

 

Face à nous, l’Ama Dablam dresse sa silhouette emblématique, comme une invitation à de plus hautes aventures... Un yak s’aventure paresseusement au milieu des voyageurs éblouis par ce spectacle unique. La journée commence sous d’excellents auspices et c’est d’humeur joyeuse que nous reprenons la route. Nous sommes désormais bien acclimatés, et l’étape qui nous sépare de Gorakshep ne présente pas de difficulté majeure. Nous rejoignons assez vite la vallée de l’Everest, bien plus fréquentée que l’itinéraire que nous suivions jusqu’alors. Un dernier effort nous emmène jusqu’à Gorakshep, tout dernier bastion de civilisation permanente avant le camp de base de l’Everest. Trois lodges occupent un replat, accrochés à la moraine occidentale du glacier du Khumbu. Nous passons ici notre première nuit au dessus de 5000m. Pour certains convives, l’endroit est un but en soi, pour d’autres, c’est le début de l’aventure. Ici, les néophytes émerveillés dînent à la même table que les groupes d’alpinistes candidats au Chomolungma (nom tibétain de l’Everest) affichant un air détaché. On ne leur fait pas, à eux, qui sont venus troquer quelques semaines de vie contre un peu d’immortalité.


Pour nous, ce sera l’occasion de tester une dernière fois notre acclimatation avant l’ultime épreuve de l’Island Peak. L’ascension du Kala Pattar, si elle ne présente aucune difficulté technique, nous demande d’aller plus haut que nous ne sommes jamais allés : 5600m. A la clef, une vue unique et des plus émouvantes sur l’intégralité de la voie normale de l’Everest, du camp de base au col sud puis au sommet, en passant par Ice Fall et par le ressaut Hillary.

 

Ces noms fantasmés prennent soudain corps à la lueur des premiers rayons. L’évocation des alpinistes qui payèrent de leur vie l’audace de vouloir regarder notre Monde d’en haut me submerge d’émotion. « Mais pourquoi gravit-on les montagnes? » comme dirait l'écrivain et alpiniste Cédric Sapin-Defour. Autour de moi, les visages sont marqués par le froid, le manque de sommeil et l’épreuve de la vie en altitude, les membres semblent endoloris et les corps amaigris. Que sommes nous venus chercher ici? Nous ne trouverons pas la réponse aujourd’hui. Seulement de la sueur et des larmes. De bonheur bien entendu.

 

A suivre...

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