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Une Ile dans le ciel (3/4)

 Aujourd’hui c’était un peu le bronx au village.
Comme l’impression d’avoir été les victimes d’un PVU sauvage (Plan Viral d’Urbanisation), qu’un morceau de ciel nous est tombé sur la tête, que la saison des grandes marées est ouverte.
Et il parait que ça ne fait que commencer.

En attendant de revenir aux aventures de l’irréductible réa, je préfère vous proposer un peu de hauteur…

 

Quatorzième jour

Retour à Lobuche. Nous approchons du terme de la préparation et chaque instant rend le sommet plus palpable. Il a encore beaucoup neigé cette nuit, et nous devons prendre la difficile décision de renoncer à l’ascension du troisième col, le Kongma La. Les récits des marcheurs l’ayant franchi la veille sont contradictoires, et il pourrait bien ne pas être en conditions. De quoi sérieusement entamer la nôtre, de condition.

Celles et ceux qui ont déjà « brassé » des kilos de neige pulvérulente comprendront (pulvérulente : « qui peut aisément prendre la forme de poudre ou de poussière. Qui mobilise autant d’énergie qu'un sous-marin nucléaire d'attaque pour se déplacer dedans »).
Il sera donc plus raisonnable de contourner l’obstacle, avantageusement remplacé par une longue marche en fond de vallée. Nous mettrons deux jours à relier Chukung, où est situé le dernier lodge avant le camp de base de l’Island Peak, notre objectif. L’amertume d’avoir dû amputer le menu des réjouissances est bien vite pondérée par l’apparition lointaine mais bien réelle de l’arête sommitale tant rêvée!

 

C’est avec bonheur que nous quittons les itinéraires très fréquentés de la trace principale menant au camp de base de l’Everest. Si nous abandonnons sans regret les flots de touristes aux fripes bariolées, certaines choses ne changent pas. Au premier rang desquelles notre régime alimentaire. Il serait injuste de ne pas rendre grâce à la gastronomie qu’offrent les vallées les plus reculées du massif Himalayen. Si le rêve avait un goût, ce serait assurément celui de la soupe de lentilles. Tout ce que nous consommons est porté à dos d’homme ou de yak (plus souvent d’homme, car il paraît que c’est moins coûteux.). Alors forcément, pour les légumes primeurs et le steak dans le filet, on vous demandera de repasser. Néanmoins, nos hôtes rivalisent d’ingéniosité pour assaisonner riz, pâtes, lentilles et pommes de terre de mille façons différentes. Peut être pas mille d’ailleurs.


Plutôt trois. Ou quatre.


Selon qu’on tient compte de la variété de choux incorporés au mélange. Mais cela fait partie du décor, et il y a toujours un quartier de pomme pour conclure les repas sur un air de fête! La réalité, c’est que la routine s’installe rapidement au fil des repas, et qu’il vaut mieux aimer les pâtes et le porridge! Les efforts consentis nécessitent des quantités peu communes de nourriture, qui étonnent ceux pour qui c’est « la première fois ». Malheur à qui négligera, par coquetterie ou par maladie, d’alimenter suffisamment le moteur. Heureusement, les plus habitués du genre ont pensé à l’essentiel : saucisson précieusement conservé et plaquettes de chocolat méticuleusement partagées rythment nos succès!

 

L’étape à Chukung nous permettra de faire connaissance avec les guides de haute montagne qui nous accompagneront au sommet. L’un d’entre eux est aussi notre sirdar, c’est à dire qu’il est en charge de toute la logistique, de la gestion des porteurs et des repas. C’est dire si nous le connaissons et l’apprécions depuis bientôt deux semaines! Nous passons en revue le matériel, confortablement et chaudement installés sur la terrasse du lodge. C’est le moment pour chacun de sortir ses « grigris », sa paire de chaussure fétiche (/sa paire de chaussures toutes neuves. Mais tu es sûre que tu n’aurais pas dû les casser avant?), sa collection de mousquetons préférés ou de faire prendre l’air au sarong de Lucie.


Un point d’eau glacée est promue au rang de fontaine de jouvence vestimentaire, permettant de donner une seconde jeunesse aux chaussettes et aux sous-vêtements. En haute montagne, il est souvent plus judicieux de retourner son caleçon que sa veste, mais toute solution a ses limites.
Loin au dessus de nous, déchirant les nuages, les pentes enneigées de l’Island Peak semblent veiller au bon déroulement des préparatifs. La revue terminée, chacun se retire, silencieusement, presque dévotement, pour empaqueter l’ensemble dans un rituel bien huilé.

 

 

Quinzième jour

C’est (presque) le grand jour. Le groupe se scinde en deux, entre les aspirants summiters et ceux qui trouvent que, non, décidément, gravir cette montagne de glace est vraiment une drôle d’idée. Nous partons donc à cinq, accompagnés de nos deux guides, vers le camp de base situé à 5100m. Après une courte approche à flanc de moraine, nous découvrons un village de tentes battu par les vents dominants. Point de « dur », ici tout n’est que toile, haubans et amas de duvet.


Les toilettes sont livrés avec vue montagne. Pour les plus clairvoyants, à défaut de marc de café pour lire l’avenir, les excréments surmontés de deux fragiles planches de bois vermoulu renseignent assez précisément sur les mésaventures de nos prédécesseurs.

 

Nous prenons rapidement nos quartiers avant de nous rassembler pour la dernière répétition le long des reliefs morainiques monumentaux. Ceux-ci, gardiens minéraux hiératiques, barrent naturellement l’écoulement des rivières de fonte des reliefs environnants. Un mouvement d’écorce terrestre mal placé, et ce sont des millions de mètres cubes d'eau siliceuse qui se déverseront sur les vallées en aval, balayant toute forme de civilisation sur leur passage.

 

Sujet du jour : tirer le meilleur parti de sa corde fixe. Vous avez deux heures, jusqu’à la soupe. L’altitude ne permet pas seulement de repousser ses limites, elle autorise aussi d’avancer l’heure du dîner. Celui-ci sera frugal, et religieusement avalé.

 

Je ne résiste pas à la tentation de profiter de l’heure bleue pour capturer quelques clichés. Puis vient le moment de voler quelques heures de sommeil avant de s’élancer. Colocataires improvisés d’un studio de toile et de plumes, Hubert, mon compagnon de cordée et moi nous endormons rapidement. « A demain » ou « à tout à l’heure », l’étiquette des sommets n’a pas statué sur la nomenclature la plus adaptée quand le nombre d’heures passées à l’horizontale se compte sur les doigts d’une main.

 

Une seule chose est sûre : on a jamais été aussi près (prêts)?

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