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Le Radeau de la Méduse (4)

 

Ce soir j’ai une confession à faire. J'ai menti.
Comme Sibeth en son temps pour protéger le Président.
Cet épisode de la tournée du village de la réa ne sera pas le dernier. Et pas le moins pédagogique. Accrochez vous.

 

 

Parce qu’elles ont été trop longtemps laissées de côté lors des dernières visites, parlons pour débuter des femmes docteurs de notre radeau.

 

Sophie est la plus sage d’entre toutes.
Avant (quand c’est écrit « avant » c’est qu’on ne sait plus exactement de quand il s’agissait. Tradition orale, perte des registres en menhir gravé tout ça), Sophie portait des lunettes un peu particulières, qui donnaient l’impression d’être toujours très en colère et de lancer des éclairs avec les yeux. Une sorte de Walkyrie de la ventilation mécanique croisée avec une Minerve version 2020. Pas minerve le zinzin en mousse qu’on met autour du cou quand on s’est fait une entorse et qui finit immanquablement par sentir la transpi. Minerve la fille de Jupiter dans la mythologie romaine, le gonze chargé de gérer le stock d’éclairs et de punir les hommes quand ils commencent à trop déconner.

Sophie donc, ne sent pas du tout la transpi, et aime beaucoup ça la ventilation mécanique. Dans notre village, c’est même elle qui grimoirise (ndl’a : écrire dans un grimoire, volontiers numérique, aussi connu sous le nom de « serveur du département d’anesthésie-réanimation »), toute sortes de choses, et notamment des notices et protocoles pour savoir comment c’est la meilleure façon de faire de la ventilation mécanique.

 

 

Petit point néophyte concernant la ventilation mécanique. La ventilation mécanique, pour vous la faire très courte, c’est quand tout ou partie de votre système respiratoire a décidé de se coller en grève pour une raison X ou Y. Le système respiratoire, c’est un peu comme la SNCF, ça comporte une multitude de métiers et de fonctions, depuis le nez / la bouche / le pharynx (sorte d’arrière-cuisine de la bouche), en passant par le larynx et la trachée, qu’on pourrait comparer à un gros pipeline fait de cartilage et de ligaments. Sauf que à la place du pétrole, c’est de l’air tout plein d’oxygène qui circule jusqu’aux poumons et aux alvéoles.
Les poumons et les alvéoles justement, sont chargés de gérer les échanges d’oxygène et de dioxyde de carbone entre votre petite personne et le monde extérieur. Le premier étant indispensable à la vie et le second étant le produit final de beaucoup de réactions chimiques qui vous permettent de mener votre vie normale de personne confinée. Un peu à l’inverse d’un nénuphar, ou de tout autre organisme ayant recours à la photosynthèse.
Et libre à vous d’avoir envie d’être un nénuphar.
Mais un nénuphar confiné dans son appart de nénuphar, bien oklm sur son canap' de nénuphar, pas autour de la mare du coin à jouer au Scrabble avec les crapeaux du quartier.

 

Revenons donc à nos moutons (qui ne produisent pas de chlorophylle non plus) et à la ventilation mécanique. Cette technique fantastique, appliquée à l’aide d’une interface de notre choix à nous les docteurs, permet de suppléer la fonction de votre appareil respiratoire le temps que les syndicats alvéolaires et le patronat homéostatique (organisation non gouvernementale chargée de faire en sorte que les comptes de votre corps soient à l'équilibre, ou en tout cas pas trop déficitaires) trouvent un accord de bonne entente pour la revalorisation des prix du surfactant (ndl’a sorte de liquide lave-glace antigel qui recouvre l’intérieur des alvéoles).


Ca parait assez simple comme ça, mais cela nécessite pas mal de matériel, plus ou moins couteux et plus ou moins complexe. Et c’est justement ce matériel qui pourrait nous manquer si le truc de 140 nm décide de poursuivre son expansion sur notre territoire national.

 

 

Sophie donc, depuis le début de cette crise nous a concocté un tas de petites recettes pour faire de la ventilation mécanique le mieux possible et en sécurité pour l’ensemble des villageois, le tout en tâchant de satisfaire les exigences d’Isabelle, de ses livraisons de poissons de Lutèce (cf épisode 2) et de « la Science ». Comme la Science est un peu paumée en ce moment, elle change assez souvent d'avis et de direction, nous demandant de nous adapter en permanence à ses revirements. Genre colin-maillard dans un champ de mygales anthropophages qui aurait mal tourné.
La dernière trouvaille de Sophie en la matière concerne un matériel rare et précieux. Nos invités atteints de formes graves du truc de 140 nm ont besoin de passer la plupart du temps allongés sur le ventre. Ca fait partie des prérequis pour que les négociations syndicales avec les alvéoles se déroulent correctement. Comme au village, nous aimons bien recevoir et tenons à garder notre statut « réa superhost », nous installons nos invités sur des matelas gonflables cosy et un peu sympas pour qu’ils soient bien calés et profitent de la meilleure expérience patient possible.

 

Apparté sérieux : bien sûr que non, puisque nos patients sous ventilation mécanique sont dans le coma artificiel, que notre service n’est pas sur airbnb et qu’on installe les patients comme ça parce que la science nous recommande de le faire et qu'on les traite avec dignité et humanité. En tout cas on essaie.

 

Problème, avec l’afflux massif de visiteurs depuis quelques jours et du fait de la relative fragilité de ce matériel, ce qui devait arriver est arrivé.
Patatras.
Chatastrophe.
Nous sommes en rade de matelas pour mettre les gens sur le ventre.
Si vous avez bien suivi les mésaventures actuelles d’Isabelle et ses difficultés à récupérer du poisson frais depuis Rungix, vous comprendrez que l’option de commander ces matelas par des circuits conventionnels dans des délais raisonnables est relativement exclue.
Et c’est là que Sophix intervient. Ce que je ne vous ai pas dit, c’est qu’elle s’est récemment prise de passion pour l’aventure au grand air et les équipements sportifs qui accompagnent invariablement cette passion. Et c’est ainsi que lui est venue l’idée d’utiliser des matelas gonflables pour enfants afin d’installer au mieux nos patients sur le ventre.
Comme dirait le regretté Steve (Jobs) : et ceci est une révolution.
C’est ainsi que d’ici quelques jours, grâce à l’inventivité de nos équipes et la générosité d’un équipementier sportif, nos patients les plus gravement touchés bénéficieront non seulement de nos soins dévoués, d’une ventilation mécanique de qualité ET SURTOUT d’un repos bien mérité sur des matelas gonflables trop choupis et colorés, à base de petits personnages sous kétamine et autres animaux aquatiques.
Elle est pas belle la vie en réanimation?

 

 

Pour être totalement exhaustif, je devrais aussi vous parler :


- De Myrtille (aka "fouchemy"), dont le conjoint devrait lancer prochainement un appel au don pour financer l’approvisionnement en chocolats fins après chaque garde de nuit. C'est une tradition locale chez eux. L’annonce du doublement de notre temps de travail nocturne a été suivie d’une forte dégradation de la notation des finances du ménage par les agences internationales. La confrérie des artisans chocolatiers lyonnais se félicite en revanche de cette nouvelle.


- De Violette, qui avait quitté le village pendant quelques mois pour aller s’enquérir de la couleur de l’herbe dans différents endroits du globe. Après quelques grosses galères pour en trouver une (de galère), elle a fini par retrouver ses pénates (ouais sa maison, mais c’est plus joli de dire les pénates) et viendra bientôt grossir nos rangs pour faire face à la discrète augmentation d’activité qui nous impacte actuellement. Par ailleurs,il faut savoir que Violette est au crossfit et aux défis physiques ultra-terrestres ce que Sophie est à la ventilation mécanique et au matériel de camping. Elle devrait donc être chargée de la remise en forme de nos effectifs, considérablement ramollis par le sevrage brutal des activités physiques de chacun, la livraison bi-quotidienne de pizzas et de patisserie (merci Views, @Fadila Aberkane et les autres) et la pénurie croissante de temps de sommeil. Fermez les yeux, tâches d’imaginer une armée de concombres de mer vêtus de tenues bleus et blanches trop grandes, coiffés de masques canards, et vous aurez une idée assez précise de notre état d’entrainement actuel.


- De Claire, qui était partie en stage d’accroissement de la population mondiale, et qui n’en est pas revenue. Pas certain qu’elle dorme beaucoup plus que nous, et en plus, elle n’a pas d’excuse pour sortir de chez elle. Coup dur.

 

Comme prévu, il reste encore quelques villageois à découvrir dans les faubourgs de notre village, et pas des moindres… N’est-ce pas GuillermoVincent et Aub Ry?

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